5

 

 

Alors il retourna à Pavonis, laissant le groupe de Sabishii poursuivre la réflexion.

Dans les entrepôts, rien n’avait changé. Un nombre croissant de gens proposaient, sous l’instigation d’Art Randolph, de tenir un congrès constitutionnel. De rédiger au moins un projet de constitution, de le mettre aux voix, puis de former le gouvernement proposé.

— Bonne idée, commenta Sax. Et pourquoi ne pas envoyer une délégation sur Terre, tant qu’on y est ?

Semer à tous vents. Comme sur les landes. Certaines graines germeraient, d’autres non.

Il chercha Ann, mais elle n’était plus là. Elle était partie pour un avant-poste rouge de Tempe Terra, au nord de Tharsis, disait-on. Personne n’allait là-bas, que des Rouges, ajoutait-on.

Après avoir un peu réfléchi, Sax demanda à Steve de l’aider à localiser cet avant-poste. Puis il emprunta un petit avion aux bogdanovistes et partit vers le nord. Il laissa Ascraeus Mons sur sa gauche, suivit Echus Chasma et passa devant son vieux quartier général du Belvédère d’Echus, en haut de l’immense muraille à sa droite.

Ann avait probablement suivi le même itinéraire, elle était donc passée devant le premier point focal du projet de terraforming. Le terraforming… L’évolution était partout, même dans les idées. Ann avait-elle remarqué le Belvédère, avait-elle eu une pensée pour ces modestes débuts ? C’était impossible à dire. Et voilà ce que les humains savaient les uns des autres. De petits fragments de vies qui se recoupaient, dont on avait une connaissance parcellaire. Autant vivre seul dans l’univers. C’était bizarre. D’où le besoin de se faire des amis, de se marier, de partager des chambres et des vies dans toute la mesure du possible. Ça n’établissait pas vraiment une intimité entre les individus, mais ça réduisait le sentiment de solitude. Et on poursuivait sa route en solitaire sur les océans du monde, comme dans Le Dernier Homme, de Mary Shelley, livre qui l’avait beaucoup impressionné quand il était jeune : à la fin, le héros éponyme voyait parfois une voile, montait sur un autre navire, jetait l’ancre sur un rivage, partageait un repas et poursuivait son voyage seul, toujours seul. Comme image de leur vie, ça se posait là. Tous les mondes étaient aussi vides que celui de Mary Shelley, vides comme Mars au début.

Il survola le croissant noirci de Kasei Vallis sans le voir.

 

Les Rouges avaient jadis évidé une roche de la taille d’un pâté de maisons dans un promontoire qui marquait le confluent de deux des Tempe Fossae, juste au sud du cratère Perepelkin. Des fenêtres abritées par des auvents de roche plongeaient dans les deux canyons dénudés, rectilignes, et celui, plus vaste encore, qu’ils formaient après leur réunion. Toutes ces fossae s’enfonçaient maintenant dans ce qui était devenu un plateau côtier. La réunion de Mareotis et de Tempe déterminait une immense péninsule d’anciens hauts-plateaux, pénétrant loin dans la nouvelle mer de glace.

Sax posa son appareil sur la langue sablonneuse, en haut du promontoire. De là, les plaines de glace n’étaient pas visibles. Il n’y avait pas grand-chose à voir, d’ailleurs, pas la moindre végétation, pas un arbre, une fleur ou une plaque de lichen. Il se demanda s’ils avaient stérilisé les canyons. Il n’y avait que la roche primitive, saupoudrée de givre. Contre le givre, évidemment, ils ne pouvaient rien, à moins de couvrir ces canyons, mais pour empêcher l’air d’entrer et non de s’en échapper.

— Hum, fit Sax, surpris par cette idée.

Deux Rouges le laissèrent entrer dans le sas et lui firent descendre un escalier. L’abri était presque vide. Tant mieux. Comme ça, les seuls regards hostiles qu’il avait à supporter étaient ceux des deux jeunes femmes qui le menaient à travers les galeries grossièrement taillées dans la roche du refuge. L’esthétique des Rouges était intéressante. Très rudimentaire, comme de bien entendu : pas une plante, juste des structures rocheuses différentes, des parois brutes, des plafonds bruts, contrastant avec un sol de basalte poli et les fenêtres étincelantes qui donnaient sur les canyons.

Ils arrivèrent à une galerie à flanc de falaise, qui ressemblait à une caverne naturelle, guère plus rectiligne que les lignes presque euclidiennes du canyon, en contrebas. Le mur du fond était orné d’une mosaïque de petits morceaux de pierre multicolores, polis et étroitement juxtaposés de façon à former un dessin abstrait qui aurait peut-être représenté quelque chose s’il avait eu le temps de se concentrer dessus. Le sol était une marqueterie d’onyx et d’albâtre, de serpentine et de jaspe sanguin. La galerie semblait interminable, poussiéreuse. Tout le complexe paraissait d’ailleurs plus ou moins abandonné. Les Rouges préféraient leurs patrouilleurs. Les refuges clandestins comme celui-ci étaient sans doute considérés comme un mal nécessaire. Quand les vitres étaient masquées, on aurait pu passer dans le canyon, juste devant, sans le voir. Sax se dit que ce n’était pas seulement pour éviter de se faire repérer par l’ATONU mais aussi par respect envers le paysage, pour se fondre dedans.

Comme Ann semblait tenter de le faire, assise dans un siège de pierre près de la vitre. Sax s’arrêta net. Perdu dans ses pensées, il avait failli lui rentrer dedans, de même qu’un voyageur ignorant aurait pu tomber sur le sanctuaire. Un caillou posé là. Il la regarda attentivement. Elle avait l’air malade. C’était devenu rare, et il l’examina avec une inquiétude croissante. Elle lui avait dit, des années auparavant, qu’elle ne suivait plus le traitement de longévité. Et pendant la révolution, elle avait brûlé comme une flamme. Maintenant que la révolte des Rouges était retombée, elle n’était plus que cendres. De la chair grise. Elle offrait une vision terrifiante. Elle devait avoir près de cent cinquante ans, comme tous les Cent Premiers encore vivants. Et sans le traitement, elle ne tarderait pas à mourir.

Enfin… d’un strict point de vue physiologique, elle devait être dans l’état d’une personne d’environ soixante-dix ans, selon le moment où elle avait reçu le traitement pour la dernière fois. Ce n’était donc pas si terrible. Peut-être Peter le saurait-il. Mais il avait entendu dire que plus on attendait entre deux cures, plus les problèmes avaient tendance à s’accumuler. Ça se tenait. Mieux valait être prudent.

Seulement il ne pouvait pas lui dire ça. En fait, il était difficile de savoir ce qu’on pouvait lui dire.

Elle finit par lever les yeux. Elle le reconnut et frémit, retroussa la lèvre comme un animal pris au piège. Puis elle détourna le regard, la mine sévère, le visage de pierre. Au-delà de la colère, tout espoir aboli.

— Je voulais te montrer une partie de Tyrrhena, dit-il lamentablement.

Elle se leva et quitta la pièce comme la statue du Commandeur.

Sax lui emboîta le pas, les jointures craquantes, en proie à une crise de pseudo-arthrite, comme bien souvent quand il avait affaire à Ann.

Les deux jeunes femmes à l’air rébarbatif le suivirent.

— Je ne pense pas qu’elle ait envie de vous parler, nota la plus grande.

— Vous êtes très observatrice, répliqua Sax.

Ann était plus loin, dans la galerie, debout devant une autre fenêtre. Ensorcelée, ou trop épuisée pour bouger. Ou en partie désireuse de lui parler.

Sax s’arrêta devant elle.

— Je voudrais avoir tes impressions, reprit-il. Tes suggestions sur la prochaine étape. Et j’ai quel-quel-quelques questions aréologiques. Évidemment, il se pourrait que les problèmes strictement scientifiques ne t’intéressent plus…

Elle fit un pas vers lui et le gifla. Il se retrouva sur les fesses, recroquevillé au pied du mur de la galerie. Ann avait disparu. Les deux jeunes femmes l’aidèrent à se relever en se demandant manifestement si elles devaient rire ou pleurer. Il avait mal partout et les yeux brûlants. Il redouta un instant de se mettre à pleurer devant ces deux jeunes idiotes, qui compliquaient prodigieusement les choses en le suivant comme son ombre. Avec elles sur les talons, il ne pouvait ni crier, ni implorer. Il ne pouvait pas se mettre à genoux et dire « Ann, je t’en prie, pardonne-moi ». C’était impossible.

— Où est-elle allée ? parvint-il à demander.

— Elle ne veut vraiment, vraiment pas vous parler, déclara la plus grande.

— Vous devriez peut-être attendre un peu et essayer plus tard, lui conseilla l’autre.

— Oh, la ferme ! s’exclama Sax, en proie à une rage soudaine. Je suppose que vous la laissez faire : arrêter le traitement et se tuer.

— C’est son droit, pontifia la grande.

— Ben tiens. Ce n’est pas un problème de droit mais de devoir : quelle attitude doit-on adopter face à une amie au comportement suicidaire ? Vous n’avez pas l’air très branchées sur la question. Maintenant, aidez-moi à la retrouver.

— Vous n’êtes pas de ses amis.

— Et comment !

Il se releva et repartit en titubant dans la direction qu’elle avait dû prendre. Une des filles tenta de lui saisir le coude. Il la repoussa. Ann était loin là-bas, effondrée sur une chaise dans ce qui ressemblait à une salle à manger. Il s’approcha d’elle en ralentissant, comme Achille dans le paradoxe de Zénon.

Elle se retourna et le foudroya du regard.

— C’est toi qui as abandonné la science, dès le départ, lança-t-elle en montrant les dents. Alors merde ! Tu es mal placé pour dire que je ne m’y intéresse pas !

— C’est vrai, convint Sax. Tu as raison. Écoute, j’ai besoin de conseils, poursuivit-il, les mains tendues vers elle. D’un avis scientifique. Je suis prêt à apprendre. Et j’ai des choses à te montrer, aussi.

Elle réfléchit un instant puis se leva et repartit en passant si près de lui qu’il ne put retenir un mouvement de recul. Il se précipita derrière elle, mais elle marchait vite et faisait de bien plus grands pas que lui, de sorte qu’il dut se mettre à trotter pour ne pas se laisser distancer. Ses os lui faisaient un mal de chien.

— Nous pourrions peut-être sortir d’ici, suggéra Sax. Allons où tu veux, ça m’est égal.

— De toute façon, la planète est fichue, marmonna-t-elle.

— Tu dois bien sortir de temps en temps pour le coucher du soleil, insista Sax. Je pourrais peut-être t’accompagner.

— Non.

— Je t’en prie, Ann.

Il fournissait de tels efforts pour rester à sa hauteur tout en parlant qu’il était hors d’haleine. Et sa joue le brûlait toujours.

— Ann, je t’en prie !

Elle continua sans répondre, sans ralentir. Ils s’engagèrent dans un couloir sur lequel donnaient des appartements. Ann pressa le pas, entra dans une pièce et lui claqua la porte au nez. Sax tourna la poignée. Elle était verrouillée.

L’un dans l’autre, ce n’était pas un début très prometteur.

Il allait devoir ruser. Changer de tactique pour que ça ne tourne pas à la chasse à courre, à la persécution. Enfin…

— Je vais souffler, souffler, et détruire ta maison, marmonna-t-il, et il souffla sur la porte.

Mais ses deux cerbères étaient déjà de retour et le regardaient de travers.

 

Plus tard dans la semaine, un peu avant le coucher du soleil, il descendit dans le petit vestiaire et s’équipa. Quand Ann entra, il fit un bond d’un mètre.

— Je m’apprêtais à sortir, bredouilla-t-il. Ça ne t’ennuie pas ?

— C’est un pays libre, répondit-elle lourdement.

Ils sortirent du sas et se retrouvèrent ensemble à l’extérieur. Les deux jeunes femmes n’en auraient pas cru leurs yeux.

Il marchait sur des œufs. Il aurait pu lui montrer la beauté de la nouvelle biosphère, les plantes, la neige, les nuages, mais il ne fallait pas. Il devait laisser les choses parler d’elles-mêmes. Ça valait peut-être pour tous les phénomènes. Il ne servait à rien de défendre quoi que ce soit. On ne pouvait que marcher sur le sol, et le laisser plaider sa propre cause.

Ann n’avait pas l’instinct grégaire. C’est à peine si elle lui adressa la parole. Il soupçonna, en la suivant, que c’était son chemin habituel. Sa compagnie était simplement tolérée.

Peut-être était-il autorisé à poser des questions ; après tout, il s’agissait de science. Ann s’arrêtait assez souvent pour regarder les formations rocheuses de plus près. Il pourrait en profiter pour s’accroupir à côté d’elle et, d’un geste, ou d’un mot, lui demander ce qu’elle avait trouvé. Ils étaient en combinaison et casqués – l’altitude était pourtant assez basse pour permettre de respirer avec un masque équipé d’un filtre à CO2 – aussi la conversation se bornait-elle à des voix bourdonnant aux oreilles, comme dans le temps. À poser des questions.

Alors il en posa. Et Ann répondit, de façon parfois assez détaillée. Tempe Terra était bien la Terre du Temps, un fragment survivant des highlands du Sud dont l’un des lobes pénétrait loin dans les plaines du nord, un témoignage de la collision avec l’astéroïde. Bien plus tard, Tempe s’était fracturée, tandis que la lithosphère était repoussée vers le haut par la bosse de Tharsis, au sud. Ces fractures incluaient à la fois les fossae de Mareotis et de Tempe, qui les entouraient maintenant.

Cette avancée de terrain avait été disloquée par l’émergence de quelques volcans tardifs qui s’étaient épanchés dans les canyons. Du haut d’une des crêtes, ils virent un volcan lointain pareil à un cône noir tombé du ciel ; puis un autre, auquel Sax trouva une certaine ressemblance avec un cratère météorique. Ann secoua la tête à cette observation et lui indiqua des coulées de lave et des fissures à peine décelables sous les ejecta postérieurs et (il fallait bien l’admettre) un saupoudrage de neige sale accumulée comme du sable dans les endroits abrités du vent, et que la lueur du soleil couchant teintait d’or.

Regarder le paysage du point de vue de son histoire, le lire tel un palimpseste écrit par un interminable passé. Voilà comment Ann le voyait, après un siècle d’observation et d’étude attentive, grâce à un don inné et à l’amour qu’il lui inspirait. C’était respectable, admirable. Une sorte de richesse, un trésor, une passion qui allait bien au-delà de la science, ou rappelait la science mystique de Michel. Une alchimie. Mais les alchimistes cherchaient à changer les choses. Alors plutôt une sorte de pythie.

Une visionnaire, porteuse d’une vision aussi puissante que celle d’Hiroko, en fait. Moins évidente, peut-être, moins spectaculaire, moins active. Une acceptation de l’existant. Un amour de la pierre pour elle-même. De Mars elle-même. La planète primitive, dans sa sublime gloire, rouge et rouille, calme comme la mort. Morte. Momifiée. Modifiée au fil du temps par les seules permutations chimiques de la matière, la vie immensément lente de la géophysique. C’était un concept étrange – une vie abiologique, mais présente si on voulait la voir, une sorte de vie tournoyante, filant entre les étoiles incandescentes, qui traversait l’univers dans son grand mouvement systolique-diastolique, portée par ce qu’on pourrait appeler un souffle immense. C’était plus facile à voir au coucher du soleil.

Essayer de voir les choses comme Ann. Jeter un coup d’œil furtif à son bloc-poignet, derrière son dos. Pierre, du latin petra. Roche, du latin de cuisine rocca, mot d’origine inconnue. Une masse de pierre. Sax laissa retomber son poignet et s’abîma dans une sorte de rêverie minérale, ouverte, blanche. Fit table rase de toute pensée, au point de ne pas entendre ce qu’Ann lui disait apparemment, car soudain elle renifla et repartit. Déconcerté, il la suivit en faisant un effort sur lui-même pour ignorer son déplaisir et lui poser d’autres questions.

Ann semblait pleine de déplaisirs. D’une certaine façon, c’était rassurant ; le manque d’affect aurait été mauvais signe, or elle paraissait encore très réactive. La plupart du temps, au moins. À certains moments, elle regardait une pierre avec une telle intensité qu’elle paraissait avoir retrouvé son enthousiasme obsessionnel d’autrefois, et il reprenait confiance. À d’autres, elle donnait l’impression d’agir mécaniquement, comme si l’aréologie n’était qu’une tentative désespérée pour tenir l’instant présent à distance. Éloigner l’histoire, le désespoir ou tout ça à la fois. Dans ces moments-là, elle était hors d’atteinte, elle ne s’arrêtait plus pour regarder les détails pourtant fascinants du décor devant lesquels ils passaient, elle ne répondait à aucune question les concernant. Le peu que Sax avait lu sur la dépression nerveuse l’inquiétait. On était très désarmé pour la combattre. Il y avait bien des médicaments, mais le résultat était aléatoire. Et lui suggérer de prendre des antidépresseurs revenait plus ou moins au même que de l’inciter à suivre le traitement et il ne pouvait pas en parler. D’ailleurs, le désespoir était-il la même chose que la dépression ?

Heureusement, il y avait remarquablement peu de plantes dans les environs. Tempe n’avait rien à voir avec Tyrrhena, ou même avec les environs du glacier d’Arena. Voilà ce qu’on obtenait sans jardinage intensif. Le monde était encore essentiellement rocheux.

D’un autre côté, Tempe était à une altitude bien inférieure, et il y faisait plus humide, l’océan de glace s’étendant à quelques kilomètres à peine au nord et à l’ouest. Des essaimages effectués par avion avaient été faits au-dessus du littoral sud de la nouvelle mer, dans le cadre du projet que Biotique avait inauguré quelques décennies plus tôt, quand Sax était à Burroughs. En regardant bien, on devait donc voir des lichens, de petites plaques de fellfield et quelques arbres de krummholz à demi enfouis dans la neige. Autant de plantes qui auraient du mal à survivre dans cet été nordique devenu un hiver – à part les lichens, évidemment. On distinguait déjà des pointes de couleurs automnales dans les petites feuilles de kœnigie blotties sur le sol, dans les boutons-d’or pygmées, les phippsies et – oui – les saxifrages arctiques. Le roussissement des feuilles faisait en quelque sorte office de camouflage dans la roche rouge environnante. Il arrivait souvent que Sax ne voie les plantes qu’au moment de mettre le pied dessus. Et naturellement, il se gardait bien d’attirer l’attention d’Ann, aussi, lorsqu’il en voyait une, l’examinait-il d’un rapide coup d’œil avant de poursuivre son chemin.

Ils gravirent une butte élevée qui dominait le canyon, à l’ouest du refuge, et soudain elle fut là : la gigantesque mer de glace, de bronze et de feu dans les derniers rayons du jour. Elle comblait une immense étendue de lowlands, créant un horizon rectiligne du sud-ouest au nord-est. Des mesas nées du sol tourmenté surgissaient maintenant de la glace, formant des écueils ou des îles aux falaises verticales. Cette partie de Tempe avait tout pour devenir l’une des côtes les plus spectaculaires de Mars, avec ces extrémités de fossae qui, en se remplissant, formaient de longs fjords, ou des lochs comme en Écosse. Un cratère côtier qui se trouvait juste au niveau de la mer, fendu sur sa face au large, était devenu une baie parfaitement circulaire d’une quinzaine de kilomètres de diamètre, dotée d’un chenal d’accès de deux kilomètres d’envergure environ. Plus loin, au sud, le terrain déchiqueté situé au pied du Grand Escarpement créerait un archipel digne des Hébrides, beaucoup d’îles étant visibles des falaises du continent principal. Oui, c’était une côte spectaculaire. On s’en apercevait déjà rien qu’en regardant les draperies de glace crépusculaire.

Mais pas question de le faire remarquer, bien entendu. Il ne pouvait même pas faire allusion à la glace ou aux montagnes déchiquetées qui se dressaient sur la nouvelle côte. Des congères s’étaient détachées, à l’issue d’un processus que Sax ne comprenait pas et qui l’intriguait, mais il ne pouvait en parler. Il fallait rester planté là en silence, comme dans un cimetière.

Embarrassé, Sax s’agenouilla pour observer un spécimen de rhubarbe du Tibet qu’il avait failli écraser. Une petite rosette de feuilles rouges émergeant d’un bulbe rouge.

— Elle est morte ? demanda Ann par-dessus son épaule.

— Non. (Il ôta quelques feuilles sèches de l’extérieur de l’inflorescence et lui montra celles du dessous, plus rouges.) Elle se croit déjà en hiver. Trompée par la baisse de luminosité.

Puis il poursuivit comme s’il se parlait à lui-même :

— Mais beaucoup de plantes vont mourir. L’inversion de température, c’est-à-dire le moment où la température de l’air descend au-dessous de celle du sol, s’est produite en une nuit environ. La végétation n’a guère eu le temps de s’y préparer. Ça va causer beaucoup de morts hivernales. Cela dit, les plantes sont mieux armées que ne l’auraient été les animaux. Et les insectes s’en sortent étonnamment bien, quand on pense que ce sont de petits réservoirs de liquide. Ils ont des cryoprotecteurs contre les froids extrêmes. Je les crois capables de supporter à peu près n’importe quoi.

Ann inspectait encore la plante, et Sax se retint pour ne pas lui dire : Elle est vivante. Tous les membres d’une même biosphère dépendent les uns des autres pour survivre. Elle fait partie de toi. Comment peux-tu la détester ?

Mais, encore une fois, elle ne suivait plus le traitement.

La mer de glace était un embrasement de bronze et de corail. Le soleil se couchait, il fallait rentrer. Ann se releva et s’éloigna, ombre silencieuse. Il aurait pu lui parler alors qu’elle était cent, puis deux cents mètres devant lui, petite silhouette noire dans le monde immense. Mais il ne le fit pas. Il craignait qu’elle ressente comme un viol de son intimité cette intrusion dans ses pensées. Ses pensées… Il se demandait bien ce qu’elles pouvaient être en cet instant. Il avait envie de lui dire, Ann, Ann, à quoi songes-tu ? Parle-moi, Ann. Partage tes pensées avec moi.

Le désir intense, aigu comme une douleur, de parler à quelqu’un ; c’était ce que voulaient dire les gens quand ils parlaient d’amour. Ou plutôt, c’était ce que Sax identifiait à l’amour. Juste le désir exacerbé de partager des pensées. Rien d’autre. Oh, Ann, je t’en prie, parle-moi.

 

Mais elle restait muette. Les plantes ne paraissaient pas avoir sur elle le même effet que sur lui. Elle semblait vraiment décidée à les abominer, ces petits emblèmes de son corps, comme si la viriditas était un cancer de la roche. Même dans les amas croissants de neige chassée par le vent, les plantes n’étaient plus qu’à peine visibles. Il commençait à faire noir, une nouvelle tempête approchait sur la mer de ténèbres et de cuivre en fusion. Un petit paquet de mousse, une paroi rocheuse couverte de lichen ; plus souvent la roche nue, comme elle l’avait toujours été. Et pourtant…

Et puis, en entrant dans le sas du refuge, Ann eut un malaise. En tombant, elle se cogna la tête sur le montant de la porte. Sax la rattrapa alors qu’elle s’affaissait sur un banc, le long du mur intérieur. Elle était inconsciente. Sax la traîna dans le sas pour refermer la porte extérieure, et lorsque le sas fut pressurisé, il la porta dans le vestiaire. Il avait dû hurler sur la fréquence commune car, le temps qu’il lui ôte son casque, cinq ou six Rouges avaient fait irruption dans la pièce. Il n’en avait jamais vu autant à la fois dans le refuge. Il découvrit que l’une des jeunes femmes qui le suivaient comme un petit chien, la moins grande, était la responsable biomed du refuge, et lorsqu’ils eurent déposé Ann sur un chariot, c’est elle qui mena le groupe vers la clinique et prit la direction des opérations. Sax l’aida de son mieux, les mains tremblantes, enlevant les bottes d’Ann de ses longs pieds. Son pouls – il vérifia sur son bloc-poignet – battait à cent quarante-cinq. Il se sentait brûlant, la tête vide.

— Elle a eu une attaque ? demanda-t-il. Elle a eu une attaque ?

La petite femme parut surprise.

— Je ne crois pas. Elle s’est trouvée mal et elle s’est cogné la tête.

— Mais pourquoi s’est-elle trouvée mal ?

— Je n’en sais rien.

Elle regarda la grande jeune femme qui était assise à côté de la porte. Sax comprit qu’elles étaient les deux responsables du refuge.

— Ann a laissé des instructions pour qu’on ne prolonge pas artificiellement sa vie si le problème se présentait.

— Non, fit Sax.

— Des instructions très explicites. Par écrit. Elle refuse expressément tout acharnement thérapeutique.

— Débrouillez-vous pour la maintenir en vie, fit Sax d’une voix rendue rauque par la tension. (Tout ce qu’il avait dit depuis l’évanouissement d’Ann était une surprise pour lui ; il était témoin de ses propres actions, au même titre qu’elles. Il s’entendit articuler :) Il ne s’agit pas de la prolonger artificiellement si elle ne reprend pas conscience mais juste de faire le minimum raisonnable afin qu’elle ne s’en aille pas si on peut faire autrement.

La toubib leva les yeux au ciel, excédée par ces pinaillages, mais la grande fille assise près de la porte parut réfléchir.

Sax s’entendit poursuivre :

— J’ai passé quatre jours sous assistance respiratoire, à ce qu’il paraît, et je suis bien content que personne n’ait pris l’initiative de me débrancher. C’est sa décision, pas la vôtre. Si on veut mourir, on peut le faire sans obliger un docteur à violer le serment d’Hippocrate.

La toubib répéta sa mimique d’un air encore plus exaspéré, mais, après un coup d’œil à sa collègue, elle accepta l’aide de Sax pour transférer Ann sur un lit équipé d’un système d’assistance respiratoire, puis elle brancha l’IA médicale et lui enleva sa combinaison. Une vieille femme noueuse, qui respirait maintenant avec un masque sur le visage. La grande fille se leva pour aider la doctoresse, et Sax alla s’asseoir. Ses propres symptômes physiologiques étaient étonnamment alarmants : une chaleur intense, diffuse, une sorte d’hyperventilation inefficace et une souffrance telle qu’il se retenait à grand-peine de crier.

Au bout d’un moment, la toubib s’approcha de lui. Ann était dans le coma, dit-elle. Son malaise avait été provoqué, semblait-il, par une légère arythmie cardiaque. Son état était stationnaire, pour le moment.

Sax resta assis dans la pièce. La doctoresse revient beaucoup plus tard. Le bloc-poignet d’Ann avait enregistré un petit accès de tachycardie, au moment où elle avait perdu connaissance. Et il y avait toujours une légère arythmie. Le coma était apparemment dû à une anoxie, au coup sur la tête ou aux deux.

Sax demanda ce que c’était que le coma, et éprouva un soudain désespoir en voyant la fille hausser les épaules. C’était apparemment un terme fourre-tout qui recouvrait divers états d’inconscience. Les pupilles fixes, le corps insensible, parfois bloqué dans des postures invraisemblables – Ann avait le bras et la jambe gauches tordus – et l’inconscience, bien sûr. Parfois, d’étranges réponses vestigielles, comme la crispation des mains. La durée du coma était éminemment variable. Certaines personnes n’en sortaient jamais.

Sax attendit en regardant ses mains qu’elle reparte, que tout le monde soit sorti, puis il alla se planter à côté d’Ann et scruta son visage caché par le masque. Il n’y avait rien à faire. Il lui prit la main. Elle ne réagit pas. Il lui prit la tête entre ses mains, comme on lui avait dit que Nirgal avait tenu la sienne quand il était inconscient. Ce geste lui parut vain.

Il se tourna vers la console de l’IA et afficha le programme de diagnostic. Il consulta le dossier médical d’Ann, parcourut l’ECG depuis le moment de l’incident dans le sas. Une petite arythmie, en effet. Le cœur était rapide, irrégulier. Il entra les données dans le programme de diagnostic et interrogea son bloc-poignet sur l’arythmie cardiaque. Il y avait beaucoup de rythmes cardiaques aberrants, mais il crut comprendre qu’Ann pouvait être atteinte d’une prédisposition génétique à un désordre de l’activation ventriculaire qui se traduisait à l’ECG par un décalage caractéristique de l’onde T.

Il afficha le génome d’Ann et ordonna à l’IA de mener une recherche dans les régions concernées des chromosomes trois, sept et onze. Dans le gène HERG du chromosome sept, l’IA identifia une petite mutation : une inversion de l’adénine-thymine et de la guanine-cytosine. Petite, mais l’HERG contenait les instructions concernant la synthèse d’une protéine qui servait de canal aux ions potassium dans la membrane des cellules cardiaques. Ces protéines-canal jouaient le rôle d’interrupteur inhibant les cellules cardiaques contractiles et, sans ce régulateur, le cœur pouvait entrer en arythmie et se mettre à battre trop vite pour pomper efficacement le sang.

Ann semblait avoir un problème avec un gène du chromosome trois appelé SCN5A. Ce gène encodait une autre protéine-canal qui laissait passer les ions sodium dans la membrane des cellules cardiaques, agissant cette fois comme un accélérateur. Une mutation à cet endroit pouvait aggraver le problème de tachycardie. Chez Ann, une base CG manquait.

Ces prédispositions génétiques n’expliquaient pas tout. L’IA disposait d’une symptomatologie de tous les problèmes connus, si rares qu’ils puissent être. Elle semblait considérer le cas d’Ann comme assez banal et établit la liste des traitements susceptibles d’y remédier. Il y en avait beaucoup.

Parmi les traitements préconisés figurait le recodage des gènes incriminés lors de plusieurs traitements gérontologiques consécutifs. Sax s’étonna que ça ne lui ait pas été fait, puis il vit que cette indication ne datait que d’une vingtaine d’années. Elle était donc postérieure au dernier traitement qu’elle avait subi.

Sax resta un long moment assis devant l’écran. Beaucoup plus tard, il se leva et inspecta le centre biomédical, instrument par instrument, pièce après pièce. Les gardes-chiourme le laissèrent aller et venir librement, croyant sans doute qu’il avait perdu l’esprit.

C’était un refuge important pour les Rouges, et il se pouvait que l’une des pièces contienne l’équipement nécessaire à l’administration du traitement de longévité. En effet. Il se trouvait dans un petit labo, à l’arrière de la clinique. Rien de spectaculaire : une grosse IA, les incubateurs, l’IRM, les potences de perf, les protéines et autres ingrédients nécessaires. C’était stupéfiant quand on pensait à ce qui pouvait en sortir. Mais ce n’était pas nouveau. La vie elle-même était stupéfiante : de simples séquences de protéines, et le tour était joué.

Bon. L’IA principale avait le génome d’Ann en mémoire. Mais s’il ordonnait à ce labo de synthétiser ses brins d’ADN (en recodant ses gènes HERG et SCN5A), les gens d’ici s’en apercevraient sûrement. Et ça ferait du tintouin.

Il retourna dans sa petite chambre et passa un appel codé à Da Vinci. Il demanda à ses associés d’amorcer la synthèse, et ils acceptèrent sans poser d’autres questions que techniques. Il y avait des moments où il adorait ces saxaclones.

Après ça, il n’avait plus qu’à attendre. Des heures passèrent, puis d’autres encore. Plusieurs jours finirent par s’écouler ainsi. L’état d’Ann était stationnaire. La doctoresse faisait grise mine. Elle ne parlait plus de débrancher Ann mais son regard en disait long. Sax décida de dormir par terre, dans la chambre d’Ann. Il connaissait par cœur le rythme de sa respiration. Il passait beaucoup de temps à lui caresser la tête, comme Michel lui avait dit que Nirgal avait fait avec lui. Il doutait beaucoup que ça ait jamais guéri quiconque, mais il le faisait quand même. Assis là, dans cette posture, il eut le temps de penser au traitement de plasticité du cerveau que Vlad et Ursula lui avaient fait subir après son attaque. Évidemment, le coma n’avait pas grand-chose à voir avec une attaque, mais un changement d’esprit n’était pas nécessairement une mauvaise chose, quand c’était à l’esprit qu’on avait mal.

Quelques jours passèrent encore ainsi, chacun plus lentement, plus vide, plus terrifiant que le précédent. Les incubateurs des laboratoires de Da Vinci avaient depuis longtemps préparé l’ensemble complet des brins d’ADN spécifiques d’Ann mais recodés, plus des ARN messagers et les ribosomes correspondants – le filet garni gérontologique, sous sa forme la plus élaborée.

Alors, un soir, il appela Ursula et eut un long entretien avec elle. Quand elle eut assimilé ce qu’il voulait faire, elle répondit à ses questions, l’air un peu affolé quand même.

— L’ensemble de stimuli que nous t’avons administré provoquerait une croissance synaptique exagérée dans un cerveau non endommagé, dit-elle fermement. La personnalité de l’individu serait modifiée selon un schéma rigoureusement indéterminé.

Traduction : Ça en ferait un fou comme Sax.

Sax décida de laisser tomber les stimuli synaptiques. Sauver la vie d’Ann était une chose, modifier ce qu’elle avait dans la tête, une autre. Le changement improvisé n’était pas à l’ordre du jour. Le but était l’acceptation. Le bonheur – le vrai bonheur d’Ann, quoi que ça puisse être –, si lointain, si difficile à imaginer. Il avait mal rien que d’y penser. C’était extraordinaire de voir comment la seule pensée pouvait faire naître la souffrance physique. Le système limbique était un monde en soi, baignant dans la souffrance, de la même façon que le corps noir était partout dans l’univers.

— Tu as parlé à Michel ? lui demanda Ursula.

— Non. Mais c’est une bonne idée.

Il appela Michel, lui exposa la situation et ce qu’il avait l’intention de faire.

— Voyons, Sax ! fit Michel, choqué.

Mais, quelques instants plus tard, il promettait de venir. Il allait demander à Desmond de l’emmener en avion à Da Vinci afin de prendre tout ce qu’il fallait pour le traitement et arriverait au refuge en avion.

Sax resta donc assis dans la chambre d’Ann, la main sur sa tête. Un crâne plein de bosses. Un adepte de la phrénologie aurait passé un bon moment sur ce terrain.

Puis Michel et Desmond, ses frères, furent là, près de lui. Ainsi que la doctoresse qui les avait escortés, la grande jeune femme et d’autres encore. Ils en étaient donc réduits à communiquer par le regard, ou l’absence de regard. Mais tout était parfaitement clair. Il n’était que trop facile de voir ce que pensait Desmond. Ils avaient apporté le kit gériatrique d’Ann. Ils n’avaient plus qu’à attendre le moment propice.

Qui arriva très vite. La routine s’était réinstallée dans le petit centre biomédical. L’effet du traitement de longévité sur le coma était mal connu. Michel avait consulté la littérature et n’avait pas trouvé grand-chose, mais comme le traitement avait été administré à titre expérimental à quelques patients en état de coma dépassé et les avait ramenés à la vie dans près d’un cas sur deux, il pensait que c’était une bonne idée.

C’est ainsi qu’une nuit, peu après leur arrivée, les trois hommes se relevèrent et passèrent sur la pointe des pieds devant l’infirmière de garde qui dormait à poings fermés, avachie dans un fauteuil devant la porte de la clinique. Sax et Michel introduisirent les aiguilles de perfusion dans le dessus des mains d’Ann, calmement, avec soin et précision. Sans un bruit. Tout alla très vite : le sérum se mit à couler dans ses veines, entraînant les nouveaux brins de protéines dans son système circulatoire. Son souffle devint irrégulier, et Sax, brûlant de peur, gémit intérieurement. Michel et Desmond le tenaient chacun par un bras comme pour l’empêcher de tomber. Il était réconfortant de les sentir à côté de lui. Mais il aurait donné n’importe quoi pour qu’Hiroko soit là. C’était ce qu’elle aurait fait, il en était sûr. Se le répéter le rassurait un peu. Hiroko était l’une des raisons pour lesquelles il agissait ainsi. Et pourtant, son concours, sa présence physique lui manquaient. Il aurait voulu qu’elle vienne l’aider comme sur Daedalia Planitia. Qu’elle vienne aider Ann. C’était elle l’experte de ce genre d’expérimentation humaine radicalement irresponsable. Ça n’aurait rien été, pour elle…

Quand l’opération fut achevée, ils retirèrent les aiguilles intraveineuses et rangèrent tout leur matériel. L’infirmière dormait toujours, la bouche grande ouverte, ce qui lui donnait l’air de la petite fille qu’elle était en fait. Ann était toujours inconsciente, mais Sax avait l’impression qu’elle respirait mieux. Plus profondément.

Les trois hommes restèrent un moment debout auprès d’elle, à la regarder, puis ils ressortirent comme ils étaient venus et regagnèrent leurs lits sur la pointe des pieds. Desmond fit l’andouille, esquissant des entrechats, et les deux autres durent lui dire de se tenir tranquille. Ils se recouchèrent, mais ne purent dormir. Et comme ils ne pouvaient pas parler non plus ils restèrent allongés en silence, tels des frères dans une grande maison, après une expédition réussie au cœur de la nuit, dans le vaste monde endormi.

Le lendemain matin, la doctoresse vint leur parler.

— Le pronostic vital est meilleur.

Les trois hommes se dirent extrêmement satisfaits de cette bonne nouvelle.

Plus tard, dans la salle à manger, Sax dut se gendarmer pour ne pas parler à Michel et Desmond de sa rencontre avec Hiroko. La nouvelle aurait plus d’importance pour eux que pour n’importe qui au monde, mais quelque chose le retenait. La crainte, peut-être, qu’on le croie dérangé, ou qu’il ait eu une vision. Le moment où Hiroko était repartie dans la tempête après l’avoir laissé dans son patrouilleur… il ne savait qu’en penser. Pendant les longues heures qu’il avait passées auprès d’Ann, il avait beaucoup réfléchi et même procédé à quelques recherches. Il savait maintenant que sur Terre, en altitude, les alpinistes souffrant du manque d’oxygène avaient souvent des hallucinations et voyaient des alpinistes comme eux. Une sorte de phénomène de doppelganger. Le sauvetage par l’anima. Et son tube à oxygène était partiellement obstrué.

— Je pense que c’est ce qu’aurait fait Hiroko, dit-il.

— Je reconnais que c’était culotté, acquiesça Michel. Tout à fait son style. Non, ne te méprends pas – je suis content que tu l’aies fait.

— Il était bientôt temps, si tu veux que je te dise, renchérit Desmond. Il y a des années que quelqu’un aurait dû la ligoter et la soumettre au traitement. Oh, Sax, mon Sax ! fit-il en riant joyeusement. J’espère seulement qu’elle n’en sortira pas aussi dingue que toi.

— Sax avait eu une attaque, rectifia Michel.

— Et puis, ajouta Sax, soucieux de rétablir la vérité historique, j’étais déjà relativement excentrique avant.

Ses deux amis hochèrent la tête, la bouche en cul-de-poule. La situation n’était pas encore tout à fait résolue, mais ils étaient d’excellente humeur. Puis la grande doctoresse vint les trouver. Ann était sortie du coma.

Sax avait l’estomac trop noué pour manger, mais il remarqua que certaine pile de toasts beurrés placée devant lui avait beaucoup diminué. Il les avait engloutis sans s’en rendre compte.

— Elle va t’en vouloir à mort, remarqua Michel.

Sax acquiesça d’un hochement de tête. C’était malheureusement probable. Sinon certain. Une pensée attristante. Il ne voulait pas qu’elle le frappe à nouveau. Ou, pire, qu’elle lui refuse sa compagnie.

— Tu devrais venir avec nous sur Terre, suggéra Michel. Nous y allons en délégation, Maya, Nirgal et moi.

— Il y a une délégation qui part pour la Terre ?

— Oui. Je ne sais pas qui a eu cette idée, mais je la trouve géniale. Il est indispensable que des représentants aillent leur parler. Le temps que nous revenions, Ann aura eu le temps de réfléchir.

— Intéressant, convint Sax, soulagé à la seule idée de prendre le large.

En fait, le nombre de raisons impératives qu’il avait d’aller sur Terre était presque terrifiant.

— Mais… et Pavonis ? Et la conférence dont tout le monde parle ?

— On pourra y participer par vidéo.

— Très juste.

C’était exactement ce qu’il disait depuis le début.

Le plan était attrayant. Il ne voulait pas être là quand Ann se réveillerait. Ou plutôt, quand elle découvrirait ce qu’il lui avait fait. D’accord, c’était de la lâcheté. D’un autre côté…

— Et toi, Desmond ? Tu y vas aussi ?

— Pas fou, non !

— Euh… Tu m’as bien dit que Maya était du voyage ? demanda Sax.

— Oui, confirma Michel.

— Parfait. La dernière fois que j’ai-j’ai-j’ai essayé de sauver la vie d’une femme, Maya l’a tuée.

— Quoi ? Comment ? Phyllis ? Tu as sauvé la vie à Phyllis ?

— Oui. Enfin, non… C’est-à-dire que si, mais comme c’est moi qui l’avais mise en danger, pour commencer, je ne crois pas que ça compte.

Il essaya de leur expliquer ce qui s’était passé cette nuit-là à Burroughs, sans grand succès. C’était très confus dans son propre esprit, en dehors de certains moments d’horreur encore très vifs.

— Bah, laissons tomber. C’est juste que ça m’est revenu tout à coup. Je n’aurais même pas dû en parler. Je suis…

— Tu es crevé, fit Michel. Mais rassure-toi. Maya ne fera pas de bêtises ici ; nous la tiendrons à l’œil.

Sax acquiesça. Décidément, la situation ne se présentait pas mal du tout. Comme ça, Ann aurait le temps de faire le point. De réfléchir, de comprendre. Enfin, il fallait l’espérer. Et puis ce serait intéressant de voir de ses propres yeux comment les choses se passaient sur Terre. Très intéressant. Si intéressant qu’aucun individu un tant soit peu sensé ne pouvait laisser passer cette occasion.

Mars la bleue
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